La Mort et le Mourant
Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie,
Se plaignait à la Mort que précipitamment
Elle le contraignait de partir tout à l’heure,
Sans qu’il eût fait son testament,
Sans l’avertir au moins : «Est-il juste qu’on meure
Au pied levé ? dit-il : attendez quelque peu :
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle;
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu;
Souffrez qu’à mon logis j’ajoute encore une aile.
Que vous êtes pressante, ô déesse cruelle!
– Vieillard, lui dit la Mort, je ne t’ai point surpris;
Tu te plains sans raison de mon impatience :
Eh! n’as-tu pas cent ans ? Trouve-moi dans Paris
Deux mortels aussi vieux; trouve-m’en dix en France.
Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis
Qui te disposât à la chose :
J’aurais trouvé ton testament tout fait,
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait.
Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause
Du marcher et du mouvement,
Quand les esprits, le sentiment,
Quand tout faillit en toi ? Plus de goût, plus d’ouïe;
Toute chose pour toi semble être évanouie;
Pour toi l’astre du jour prend des soins superflus;
Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus,
Je t’ai fait voir tes camarades,
Ou morts, ou mourants, ou malades :
Qu’est-ce que tout cela, qu’un avertissement ?
Allons, vieillard, et sans réplique.
Il n’importe à la République.
Que tu fasses ton testament. »
La Mort avait raison. Je voudrais qu’à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d’un banquet,
Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet;
Car de combien peut-on retarder le voyage ?
Tu murmures, vieillard ! Vois ces jeunes mourir,
Vois-les marcher, vois-les courir
À des morts, il est vrai, glorieuses et belles,
Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles,
J’ai beau te le crier; mon zèle est indiscret.
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.
LA FONTAINE, Fables, Livre VIII, 1, 1678.
I/ a- Qui sont les personnages ?
b- Comment sont-ils (statut, portrait) ?
c- La rencontre est-elle comique ou tragique ? justifiez
d- Dans quelle situation se trouve le vieillard ? Pourquoi ?
II/ Distinguez les trois parties constituant la fable :
III/ La thèse de La Fontaine est-elle :
Justifiez votre réponse.
IV/ Selon quel ordre se présentent les arguments de la Mort : d’importance ? ou par thème ?
V/ « Eh ! n’as-tu pas cent ans ? Trouve-moi dans Paris
Deux mortels aussi vieux; trouve-m’en dix en France. »
Formulez le syllogisme implicite contenu dans ces deux vers.
VI/ « Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret », cela veut-il que :
VII/ Le vieillard cherche à persuader la Mort de ne pas l’emmener. Réécrivez ses répliques de telle façon que la Mort en soit convaincue à la fin.
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